Feuille d'Eucalyptus bailla. La petite guerrière s'étira longuement, prenant soin de faire craquer ses os dans un bruit sec. La tricolore marchait maladroitement, pas spécialement réveillée. A chaque pas elle manquait de trébucher. Elle s'approcha d'un petit ruisseau, se pencha, et tomba dedans. Heureusement, il était petit, ce qui réveilla complètement la guerrière de la Rivière, par la douleur et par la froideur de l'eau. Ses yeux émeraudes se posèrent sur les rochers, pensive. Elle se releva ensuite, s'ébroua, lançant quelques gouttes ci et là. Une forme massive l'interrompit. A petits pas, elle s'y approcha, méfiante. Après ce qu'elle a vécue, elle ne pouvait qu'être méfiante. Aucunes réponses de cette silhouette. Elle la frôla donc ; c'était dur et frais. En y regardant de plus près, c'était simplement un énorme rocher. Elle pouffa pour elle-même, amusée de cette plaisanterie enfantine. Elle remua ses moustaches doucement, ainsi que ses oreilles. Tiens ? Des bruits de pas. Elle ignora cela et s'approcha d'un ruisseau pour y pêcher. Un poisson s'approcha. Instinctivement, elle fit un coup de patte et l'attrapa sans difficulté. Feuille d'Eucalyptus hésita à l'emmener à la réserve ou à le manger. Oh et puis ? Après tout, elle n'était pas de corvée de chasse. Elle dévora sa proie poisseuse et délicieuse, léchant ses babines afin d'éviter d'en perdre des miettes. Ensuite, elle se retourna brusquement, et se prit un de ses congénères en pleine face. Elle tituba et s'effondra par le choc.

Feuille d'Eucalyptus ne dit rien, sonnée. Petite comme elle est, un rien pouvait lui faire un tel choc. Elle s'était prise dans le poitrail de son congénère. Elle était allongée, et n'essayait pas de se réveiller. Elle était bien ainsi, allonger, bercée par le doux bruit du ruisseau. Dès que le mâle se tut, elle ferma les yeux, pensive. Elle se tenait exactement ici quand un mâle avait lamentablement profité d'elle. Était-elle réellement heureuse ? Elle ne le savait même pas. Et si c'était simplement ce qu'elle voulait se faire croire ? La tricolore aurait voulue, pourtant, que les deux petits vivent. Mais elle était trop jeune pour s'en occuper. Ses yeux émeraudes s'ouvrirent lentement, elle remua ses moustaches. La petite guerrière ne savait pas où se mettre. Du côté des malheureux, ceux qui se plaigne de leur passé sans avancer, ou ceux qui vivent le présent et qui ne rumine pas sur leur histoire ? Ses oreilles se mirent en avant. Elle se forçait à croire qu'elle serait du côté des gagnants, ceux qui arrivent à tout avec leur sourire et leur bonne humeur. Elle bougea sa patte avant droite, celle qui était blanche, et se leva la tête péniblement. Elle lui sourit, les yeux fermés. Sa queue fouetta son flanc frénétiquement. La femelle remua les moustaches et se leva pour lui montrer qu'elle n'avait rien, puis s'ébroua. Ensuite elle baissa la tête de bas en haut en signe de bonjour. Devait-elle parler ? Qu'elle détestait sa voix ! Ses oreilles longues et triangulaires se placèrent en arrière, montrant qu'elle se disputait, s'insultant contre elle-même. La tricolore n'avait pas encore d'amis au clan de la Rivière, pourquoi ne pas s'en faire un afin de mieux connaitre ce camp ? Elle remarqua qu'elle n'arrivait à peine au menton de son semblable, l'air gênée. Une bourrasque de vent lui ébouriffa sa longue fourrure blanche, marron rayée noire. Le ciel était parfaitement bleu, ce qui réjouissait la guerrière. Ainsi, la chasse serait bonne. Que se soit poissons ou autres proies, le clan pourrait se régaler. Sa voix douce et féminine brisa le silence et ses pensées. Elle s'étonna elle-même de lui avoir parlé. Pourtant, elle ne n'en avait pas envie. Était-ce parce qu'elle s'intéressait à lui ?

« Ne vous inquiétez pas, je vais parfaitement bien. Et vous ? »

Elle détailla sans gêne le matou. Elle n'était pas surprise par ce geste, car elle le faisait très souvent quand elle rencontrait quelqu'un. Il était fin, est beau, ce qui fit sourire la tricolore. Il était musclé, et élancé. La guerrière voulait s'en faire un ami, car il avait l'air sensible et accueillant, sympathique.

Feuille d'Eucalyptus lui sourit, joyeuse. La tricolore s'ébroua, afin de remettre son poil en place. Elle appréciait le guerrier. Le vouvoyer ? Bien, s'il le désirait. Celui-ci lui montrait qu'il avait soif, et se dirigea donc vers le ruisseau. Elle le suivit du regard, patiente. La petite guerrière le fixait. Il semblait étrange, ce qui fit frissonner la femelle. Il avait beau sourire, être amical, il y avait quelque chose de douloureux derrière. Mais elle préféra l'ignorer et le détailler encore une fois. Son pelage était mi-long, légèrement un peu plus court que le sien. Ses yeux étaient envoûtants, magnifiques, et quant à son physique, il était vraiment très beau. Des gouttes d'eau la réveillait. Il l'éclaboussait. Elle ne put s'empêcher de lâcher un petit rire de gamine, et de remuer les moustaches. Il semblait si heureux. Mais était-ce réel ? Elle ferma les yeux, et se concentra pour savoir si elle-même était quelqu'un d'heureux ou de malheureux. Elle hésitait. Malgré son passé, elle aimait jouer, rire, embêter. Mais elle ne faisait que d'être nostalgique, voulant changer son histoire. Pourquoi avoir été si dupe ? Elle aurait était moins confiante, elle ne serait pas ainsi. La guerrière tricolore rejoignit Tempête de Troubles sans rien dire, attentive. Elle s'assit prêt de lui, collée à son flanc. Elle fixait le lointain, un point invisible dans l'horizon. Sans le savoir, sa longue queue s'emmêla à celle du guerrier. Ce contact la fit sursauter, et bouger sa queue frénétiquement. Elle tourna la tête vers le bicolore, voulant savoir si ceci l'avait gêné. Elle murmura ;

« Je suis désolée, je ne voulais pas . . . »

Elle se força à sourire. Feuille d'Eucalyptus n'avait pas répondu au matou. Enfin, elle ne lui avait pas dit son nom. C'était quelque chose d'idiot, pour elle. Dans un clan, tout le monde se connaissait, logiquement. Elle évita donc de lui dire son nom, voulant savoir si celui-ci le savait. Elle aimait bien être en compagnie du mâle. Il semblait lui ressembler, physiquement et mentalement. Un passé douloureux ?, et un pelage pratiquement identique. Son nez rose bougeait, humant l'air, goûtant à cette odeur masculine. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas sentie une telle odeur. Et aussi, ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas échanger quelques mots avec qui que ce soit. Ses yeux émeraudes se posèrent sur ceux du guerrier. Silencieuse, elle semblait ailleurs.

Feuille d'Eucalyptus ne dit rien. Devrait-elle lui dire ? Lui faire confiance ? Elle fixait le guerrier, sans respirer. Nerveuse, elle réfléchissait à vive allure. Devrait-elle lui parler de son terrible passé ? Il devait le savoir, pourtant. Tout le monde le savait, dans le clan. Qu'une petite apprentie du nom de Nuage d'Eucalyptus a été trop confiante, trop naïve. La tricolore s'ébroua de nouveau. Elle baissa doucement la tête, une larme coulait le long de sa joue, s'écrasant sur le sol dans un bruit étouffé par la respiration des deux félins. Elle remua sa queue, essayant de cacher sa tristesse. Ses yeux émeraudes étaient voilés par les larmes. Une nouvelle goutte s'écrasa. Et encore une autre. La petite guerrière leva sa tête vers Tempête de Troubles, et lâcha d'une voix presque agressive :

« Si tristes ? A ton avis ? Comment ça pourrait aller ? Je souris, mais au fond j'ai mal ! »

Elle avait pratiquement craché ses mots sur le bicolore. Elle se leva et s'éloigna la queue haute, blessée, furieuse. Ses oreilles triangulaires se plaquèrent en arrière pour montrer qu'elle deviendrait agressive à tout moment. Elle accéléra le pas afin de s'éloigner le plus possible du guerrier. Pourquoi avait-elle été si naïve ? Tout ça lui avait bousillé la vie. Elle s'assit à l'ombre d'un arbre, une bourrasque séchant ses larmes. Elle voudrait que quelqu'un la comprenne. Était-ce possible ? Non, c'était trop demandé. Elle priait le Clan des Étoiles pour que celui-ci ne se brusque pas ou ne vienne pas la voir. Elle ne voulait plus lui parler.